Si vous êtes pratiquant(e) CrossFit en France, ou en Belgique francophone, vous avez peut-être suivi cette polémique récente entre des gérants de salles CrossFit et le site Play-Fitness.fr, qui aboutit à un appel à boycotter Play-Fitness.fr…
A l’origine de cette polémique, il y a le fait que Play-Fitness.fr liste les boxes affiliées et non-affiliées, comme s’il s’agissait, au final de la même chose… (voir la liste)
Je précise que j’ai soutenu Play-Fitness.fr depuis le début, participé à leur compétition en ligne, et respecte beaucoup le travail de bénévoles passionnés pour faire connaître une pratique qu’ils aiment, le CrossFit.
J’ai commencé le CrossFit avant qu’il y ait des salles, je m’entraînais chez moi. Je suis intimement convaincu que le CrossFit peut se pratiquer n’importe où, avec peu de matériel. C’est ce que je faisais, avec un vieux pneu, un sac de sable placé dans un sac à dos, des tuyaux de chauffage accrochés à une poutre pour les tractions (photo en 2011), etc… C’est dans ce cadre-là que j’ai lancé SportIsEverywhere.com, traduction anglaise du “Sport est partout”, afin de promouvoir ce type de méthodes d’entraînement, fonctionnel, naturel, et minimaliste… A côté du CrossFit, j’ai d’ailleurs souvent parlé de MovNat (méthode encore plus naturelle, pour laquelle je suis également certifié), la course pieds nus, le parkour, etc., ainsi évidemment que l’alimentation paléo…
Toutes ces convictions, je les ai gardées même en travaillant dans des salles CrossFit affiliées (Reebok CrossFit Brussels et CrossFit 1815) et maintenant en étant gérant d’une salle affiliée (CrossFit Nivelles).
Je crois qu’il y a une confusion entre la “pratique” du CrossFit et la “vente” du CrossFit. Bien entendu que tout le monde peut faire du CrossFit. Et cette conviction est au fondement même de la méthode d’entraînement C’est pour cela que vous trouverez des milliers d’heures de vidéos sur CrossFit.com et un contenu très riche en articles ! C’est grâce à cela que j’ai commencé. Pour cela, le CrossFit a un côté “open-source” tout à fait revendiqué. D’ailleurs, si vous allez sur CrossFit.com, vous verrez souvent des photos de “garage gym”, c’est-à-dire des garages aménagés pour pratiquer à la maison. CrossFit.com ne promeut donc pas que les “salles CrossFit”, elle promeut la “pratique du CrossFit”.
Ci-dessous un article que j’ai écrit en 2011 sur le caractère open-source du CrossFit, avec une photo prise sur ma terrasse, dans mon jardin avec une partie du matériel que j’avais 😉
C’est par contre autre chose de “commercialiser” un entraînement CrossFit, dans le sens de proposer un coaching CrossFit, à d’autres personnes (rémunéré ou non en fait). Et la seule manière de préserver la qualité de ce qui est présenté sous le nom “CrossFit”, c’est, je crois, de maintenir un système de marque et de salles affiliées.
Dans ces salles-là, on peut être sûr que les coachs sont certifiés “Level 1”, et que la salle fait partie (avec des niveaux d’investissement différents d’une salle à l’autre) d’une communauté mondiale, qui partage certaines valeurs, certains critères de validité des mouvements et des principes de sécurité sur les exercices.
Bien sûr, on n’est jamais à l’abri de tomber sur quelqu’un de moins compétent, voire d’incompétent. Mais si cette personne officie dans une salle affiliée, on peut la rappeler à l’ordre au nom de ces principes et valeurs que sa salle est censée porter, en tant que salle affiliée CrossFit.
Il en est tout autrement si on est dans une salle non-affiliée, qui n’est pas tenue de respecter certains standards et critères de qualité.
J’espère qu’on comprend bien que je ne dis pas que les salles affiliées sont d’office de qualité et que les salles non-affiliées ne sont pas de qualité. Je dis et je répète que dans une salle CrossFit affiliée, on peut reprocher à un coach de ne pas bien faire son boulot de coach CrossFit, puisqu’il est censé suivre des principes de programmation appris lors de la formation “Level 1”, se former grâce aux “Speciality Certs” et s’instruire grâce à CrossFit Journal. Lorsqu’on s’entraîne dans une salle non-affiliée, on n’a aucune emprise sur les coachs à ce niveau-là.
En listant les salles affiliées et les salles non-affiliées, je crois que Play-Fitness.fr entretient l’idée que, finalement, tout se vaut, et que tout coach de France peut proposer un entraînement CrossFit s’il le veut.
Concrètement, le problème, ce n’est pas la dizaine de salles non-affiliées listées sur Play-Fitness.fr, c’est plutôt que ça ouvre la porte à ce que n’importe quelle salle de Fitness puisse revendiquer le fait de faire du CrossFit. Toutes les salles CrossFit (du monde je pense !) sont confrontées au fait que des chaînes Fitness commerciales veulent aujourd’hui proposer du CrossFit, parce qu’elles se rendent compte que c’est vendeur, entre deux heures de Zumba et de Body Pump…
Alors, on nous répondra qu’il n’y a pas encore de salles CrossFit partout, et que par conséquent, en refusant que les salles de sport locales se mettent à proposer du CrossFit, on prive des gens de faire du CrossFit… Personnellement, j’ai envie qu’un maximum de personnes “pratiquent” du CrossFit, mais que seules des personnes qualifiées représentent la marque CrossFit.
Prenons l’exemple d’une ville X, de 30.000 habitants. Il n’y a aucune salle CrossFit, mais beaucoup d’habitants pratiquent chez eux (garage gym), dans des espaces publics (parcs, plages, etc.) ou dans des salles de fitness traditionnelles. Parce que des salles fitness traditionnelles, il y en a 4 ou 5 dans cette ville X…
Solution 1 : Une ou plusieurs salles fitness traditionnelles commencent à proposer du CrossFit, sans payer d’affiliation et sans avoir de coachs certifiés. Ils font un peu ce qu’ils veulent avec le concept, n’ayant de comptes à rendre à personne. Un site internet renommé dans la communauté CrossFit publie un article disant qu’on peut maintenant faire du CrossFit à X. Les CrossFitteurs ont maintenant un lieu où pratiquer, mais sans que l’on soit sûr de la qualité du coaching CrossFit qui est proposé… Ne payant pas d’affiliation, et rentabilisant déjà la salle avec d’autres activités (LesMils, etc.), ces salles pourront proposer des prix plus bas que les salles CrossFit affiliées en général. Il sera difficile pour une salle affiliée de s’ouvrir dans cette ville.
Solution 2 : Pas de salle CrossFit, les types continuent de s’entraîner en rue ou chez eux jusqu’à ce qu’un d’eux (ou plusieurs) se lancent dans le projet d’ouvrir leur propre salle. A ma connaissance, c’est cette solution qui a été à la base de quasi toutes les salles CrossFit affiliées de France et de Belgique, puisque dans la majorité des cas, les gérants ne s’entraînaient pas dans une autre salle CrossFit, affiliée ou non, avant d’ouvrir leur propre salle. Ils vivaient dans des villes où il n’y avait pas de salles CrossFit, donc ils en ont créé une… Leur salle fait alors partie d’une communauté plus large, qui organise des événements, des compétitions, des initiations, etc., ce qui va faire parler du CrossFit, et le faire découvrir à d’autres personnes, qui vont ensuite elles aussi vouloir pratiquer dans leur ville, où il n’y a peut-être pas encore de salles CrossFit… Et ainsi de suite.
Donc, je suis tout à fait convaincu que soutenir les salles affiliées est le meilleur moyen, à long terme, de promouvoir la pratique du CrossFit pour le plus grand nombre !
D’autant plus qu’il est paradoxal de penser que des salles qui ne peuvent pas utiliser publiquement le mot “CrossFit” vont faire la promotion du CrossFit… Légalement, ces salles seront toujours tenues, dans leurs flyers, sites internet, etc., d’utiliser d’autres noms : “Cross-Training”, “Circuit-Training”, “Boot-Camp”, etc., ce qui peut pourtant renvoyer à des choses fort différentes…
On pourrait nous répondre que ce qui est important, c’est de promouvoir le Cross-Training en général, à savoir une méthode d’entraînement fonctionnelle et complète, qui s’inspire de nombreuses méthodes. Après tout, le Cross-Training existe depuis très longtemps et n’appartient à personne. Effectivement, sauf que le CrossFit a donné une popularité sans précédent au Cross-Training. Il est exact que certaines mélangeaient haltérophilie, gymnastique, athlétisme, mouvements de force et d’endurance, agilité et puissance, etc., depuis très longtemps. Mais jamais ce Cross-Training n’avait suscité autant d’engouement que le CrossFit, au point d’être transformé en sport, diffusé sur ESPN aux Etats-Unis ou Eurosport en France. Je suis donc tout à fait convaincu que la meilleure manière, actuellement, de promouvoir le Cross-Training est de promouvoir le CrossFit…
En résumé, je pense donc qu’aujourd’hui (ce n’était pas le cas avant je crois), Play-Fitness.fr entretient cette confusion entre la “pratique” du CrossFit, pour tout le monde, et la “vente” du CrossFit, qui devrait se faire dans des salles affiliées.
On prend souvent la métaphore d’une marque, en disant qu’on a le droit de faire des burgers, mais pas de les appeler “Big Mac”. Je crois que je préfère l’image de la médecine : on a le droit de s’automédiquer (vous vous soignez vous-même, vous allez chercher vos infos où vous voulez et vous les utilisez pour vous soigner, pas de problème), mais on n’a pas le droit de soigner quelqu’un d’autre, sauf si on est médecin. Dans le cas contraire, c’est de l’exercice illégal de la médecine.
C’est dans cette différence que réside la confusion entretenue (pas exprès je pense) par Play-Fitness.fr.
Ce qui est dommage, c’est que dans cette polémique entre Play-Fitness.fr et les salles CrossFit, Play-Fitness.fr se défend en laissant supposer que les salles affiliées sont “sectaires” ou voudraient empêcher la “pratique” du CrossFit… Alors que c’est juste l’inverse : les salles CrossFit affiliées veulent qu’à long terme, il y ait de plus en plus de monde qui pratique du CrossFit, dans une communauté de valeurs et de principes, qui assureront la qualité et la sécurité de la méthode d’entraînement…
(Photo en couverture : CrossFit Invictus Training Camp)